Interview

Pauline Arnaud-Blanchard

Passionnée d’entrepreneuriat pour sa capacité à transformer des vies, cofondatrice de l’association H’up entrepreneurs

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Quel est votre parcours académique puis professionnel ? 

Je suis Pauline Arnaud Blanchard, cofondatrice de l’association h’up entrepreneurs, qui soutient l’accès à l’entrepreneuriat pour les personnes en situation de handicap ou fragilisées pour raison de santé. J’ai co-fondé cette association en 2008 avec quatre chefs d’entreprise concernés. Depuis 2018, j’en étais la directrice générale, un rôle que je suis en train de transmettre tout en conservant mes fonctions de cofondatrice, notamment dans le cadre d’un comité de mission qui travaille sur les réflexions prospectives de l’association. 

Je suis diplômée de l’ESSEC Grande École, où j’ai suivi la Chaire Entrepreneuriat Social dirigée par le professeur Thierry Sibieude. Mon engagement pour l’innovation sociale au service des personnes en situation de handicap puise ses racines dans mon histoire familiale, notamment avec mon frère Antoine. Pendant mes études, à travers un cours sur le business plan, j’ai réfléchi à la création d’une structure d’innovation sociale pour les entrepreneurs en situation de handicap. C’est ainsi qu’est née l’association h’up entrepreneurs, appelée initialement UPTIH.

Mon parcours professionnel comprend trois grandes étapes. La première, d’une dizaine d’années, dans le conseil en stratégie et management, notamment au sein de PwC, A2 Consulting, et avec mon propre cabinet. Ensuite, une période entrepreneuriale de trois ans durant laquelle j’ai accompagné des entreprises sur les thèmes de la diversité, de l’inclusion et de la qualité de vie au travail. Enfin, ma dernière étape, celle de directrice générale de h’up entrepreneurs, que je transmets aujourd’hui.

Je suis en effet à un tournant de ma carrière, dans une phase de transition et de réflexion. Mon objectif est de contribuer activement à des causes qui me tiennent à cœur, comme l’entrepreneuriat populaire, le handicap ou d’autres thématiques que je découvrirai peut-être. À ce titre, rejoindre le comité scientifique de l’Institut Maria Nowak est une opportunité idéale pour partager mon expérience et apporter un regard pluridisciplinaire sur des sujets liés à l’entrepreneuriat et à l’inclusion. 

Quels sont les principaux obstacles que rencontrent les entrepreneurs en situation de handicap lorsqu’ils souhaitent lancer leur activité ? 

D’après mon expérience et les études réalisées par h’up entrepreneurs et d’autres acteurs, les personnes en situation de handicap se heurtent principalement à quatre types de freins : 

  1. Les conséquences liées au handicap. Celles-ci incluent des difficultés de mobilité ou d’accès aux informations nécessaires à l’entrepreneuriat, parfois dues à un isolement géographique ou à une accessibilité numérique insuffisante. De plus, les contraintes physiques ou les problèmes de santé peuvent entraîner de la fatigabilité ou des découragements accrus, rendant le parcours entrepreneurial encore plus exigeant.
  2. Un manque de bagage en matière de connaissances entrepreneuriales. Beaucoup de personnes en situation de handicap n’ont pas eu l’opportunité d’acquérir une culture entrepreneuriale ou économique suffisante. Cela peut conduire à des prises de risque mal évaluées ou à des difficultés dans la gestion de leur projet.
  3. L’isolement. Les personnes concernées sont souvent bénéficiaires d’allocations comme l’allocation adulte handicapé (AAH) et résident en périphérie urbaine ou en zones rurales, loin des écosystèmes de soutien à l’entrepreneuriat. Cet isolement complique leur accès aux ressources et aux réseaux nécessaires pour réussir.
  4. Les ressources financières. La grande majorité des entrepreneurs en situation de handicap disposent de revenus limités, ce qui restreint leurs capacités à investir dans leur projet ou à accéder à des financements.

Selon vous, en quoi l’entrepreneuriat peut-il être une voie d’inclusion sociale et économique pour les personnes handicapées ? Quels exemples illustrent cette transformation ? 

L’entrepreneuriat est un vecteur puissant d’inclusion et d’émancipation pour plusieurs raisons :

  • La flexibilité. Il permet d’adapter les rythmes de travail aux contraintes personnelles, comme les traitements ou soins. Cette souplesse est essentielle pour des personnes dont le handicap impose des ajustements.
  • L’émancipation professionnelle. Beaucoup de personnes en situation de handicap rencontrent des limites dans le salariat traditionnel, malgré les politiques incitatives. Elles peinent à progresser ou à briser le plafond de verre. L’entrepreneuriat leur offre une opportunité de redéfinir leur cadre professionnel, aligné avec leurs aspirations.
  • Les soutiens disponibles. Malgré une diminution récente des aides, des dispositifs comme ceux de l’AGEFIPH continuent d’appuyer les entrepreneurs en situation de handicap. Ces aides, conjuguées aux ressources disponibles pour les entrepreneurs précaires, permettent de construire des projets solides.

En conclusion, l’entrepreneuriat peut offrir aux personnes en situation de handicap une véritable autodétermination. En leur permettant de devenir actrices de leur parcours, il les aide à s’affranchir des choix imposés par des structures externes, pour tracer leur propre chemin dans un environnement professionnel. C’est, selon moi, la voie vers une émancipation durable et une inclusion pleine et entière

Pensez-vous que l’entrepreneuriat de personnes handicapées pourrait inspirer de nouveaux modèles ou pratiques d’inclusion pour l’ensemble de la société ?

L’entrepreneuriat des personnes en situation de handicap révèle un potentiel à la fois innovant et profondément humain. Il permet notamment de concevoir des solutions inclusives inspirées par des expériences vécues. Rui Perera, un entrepreneur suivi chez h’up par exemple, a fondé Inclusive Events après avoir constaté les obstacles que les festivals et événements culturels posent souvent aux personnes handicapées. En tant qu’entrepreneur lui-même en fauteuil roulant, il a imaginé des dispositifs d’accessibilité qui répondent directement à ces problématiques, transformant des espaces inaccessibles en lieux ouverts à tous.

De son côté, Rémi Uzan, neuroatypique et lauréat des Trophées h’up entrepreneurs 2023, a créé Othentik, une agence d’innovation par la neurodiversité. Il accompagne les entreprises dans leurs stratégies d’innovation, en valorisant la richesse des profils neurodivers, souvent mal intégrés dans le monde professionnel, et des approches inédites “hors de la boîte” qu’ils peuvent proposer.

Ces exemples montrent que l’expérience du handicap peut devenir une force créative, générant des innovations qui enrichissent l’ensemble de la société.

Par ailleurs, l’entrepreneuriat favorise une autre manière de vivre ensemble en dépassant les différences. Dans des initiatives collaboratives comme celles soutenues par h’up entrepreneurs, le handicap s’efface derrière l’objectif commun. Ce modèle relationnel, centré sur le projet et non sur la différence, pourrait inspirer les entreprises et les encourager à intégrer davantage de diversité au sein de leurs équipes.

Quels indicateurs ou types de données manquent aujourd’hui pour mieux comprendre et appuyer les besoins spécifiques en situation de handicap ? Lié à cette question : Sur quoi la recherche de l’institut devrait-elle se concentrer pour être utile pour l’entrepreneuriat dans les territoires ? 

Les indicateurs traditionnels comme le chiffre d’affaires ou la pérennité économique ne suffisent pas à saisir l’impact réel de l’entrepreneuriat pour les personnes en situation de handicap. Ce qu’il manque, ce sont des outils pour mesurer leur « encapacitation« , c’est-à-dire leur capacité à reprendre le contrôle de leur vie professionnelle et personnelle. L’entrepreneuriat, dans ce contexte, ne se limite pas à une activité économique : il représente une démarche émancipatrice.

Pour beaucoup, se lancer dans l’entrepreneuriat signifie sortir d’un parcours souvent marqué par des situations de dépendance, où des organismes tiers se prononcent sur leurs orientations professionnelles, pour devenir acteur de son avenir. Cette transformation mériterait d’être quantifiée à travers des critères comme l’autonomisation, la dignité retrouvée ou encore le sentiment d’accomplissement.

Enfin, il serait utile d’évaluer l’impact de cette démarche sur l’épanouissement personnel et professionnel des entrepreneurs concernés. Même si la réussite économique n’est pas immédiate, l’entrepreneuriat permet souvent d’élargir son horizon, de retrouver confiance en soi et d’améliorer son employabilité. Ces dimensions, fondamentales mais trop souvent invisibles, mériteraient d’être intégrées dans une évaluation globale de leur impact.

Quelles sont les raisons / motivations qui vous ont poussé à rejoindre le comité scientifique de l’Institut Maria Nowak ? 

L’adhésion au comité scientifique repose d’abord sur une passion personnelle pour l’entrepreneuriat et sa capacité à transformer des vies. L’idée que l’entrepreneuriat peut être un levier pour les plus fragiles, au-delà de la simple création de richesse, reflète une vision humaniste qui résonne profondément en moi.

C’est aussi une opportunité de mieux comprendre le travail de l’Adie et de Maria Nowak, dont les actions en faveur de l’entrepreneuriat des plus modestes suscitent chez moi une profonde admiration. Enfin, il s’agit d’une occasion unique d’apprendre auprès d’experts venus de divers horizons. La diversité des approches et des échanges au sein du comité est une richesse précieuse pour nourrir les réflexions. 

Quels sont les projets ou initiatives de l’Institut qui vous enthousiasment particulièrement ?

Parmi les initiatives de l’Institut, le sujet des « polyactifs/slashers » me semble particulièrement enthousiasmant, car il reflète une réalité de terrain et un phénomène de société en pleine évolution. De même, l’événement de diffusion avec la création d’un prix est selon moi une formidable opportunité de sortir du cercle fermé pour confronter les travaux à des réalités concrètes, susciter des débats et fédérer un public plus large autour de ces enjeux.

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