Laurence Fontaine
Historienne et directrice de recherche émérite au CNRS

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Quel est votre parcours académique puis professionnel ?
Je suis historienne et directrice de recherche émérite au CNRS. Je suis rattachée au Centre Maurice-Halbwachs de l’université Paris Sciences et Lettres. Mon parcours a commencé avec une thèse sur les marchands migrants dans les Alpes, où j’ai étudié les stratégies de survie de populations pauvres dans des environnements hostiles. J’ai également travaillé sur le crédit, très présent dans ces communautés car il avait une forte dimension sociale et culturelle, parfois plus marquée que l’aspect purement économique. Ces recherches m’ont conduite à écrire L’économie morale, un livre où j’analyse les aspects culturels et sociaux du crédit ainsi que les stratégies financières des classes populaires et dans lequel j’établis des parallèles avec les défis actuels.
Quelles sont les raisons / motivations qui vous ont poussé à rejoindre le comité scientifique de l’Institut Maria Nowak ?
En 2009, Maria Nowak m’a contactée après avoir lu mon livre L’économie morale. Elle y a trouvé des échos avec les problématiques contemporaines de l’entrepreneuriat populaire. Elle m’a alors invitée à participer à un colloque sur ce thème pour lui donner une profondeur historique. Elle souhaitait également que je fasse partie de l’ancien comité scientifique de l’ADIE. Cette invitation était un honneur, et j’ai accepté avec enthousiasme. Rejoindre ce comité me permettait de poursuivre mes comparaisons et réflexions sur les liens entre les dynamiques historiques et actuelles. Par ailleurs, j’étais touchée par l’intelligence et la générosité de Maria Nowak, ce qui a renforcé ma volonté de contribuer à faire vivre son héritage. Participer au comité scientifique de l’Institut Maria Nowak est le prolongement évident de cet engagement. J’aimerais notamment collaborer en trouvant et en encadrant des étudiants, doctorants ou chercheurs pour travailler sur ces sujets, et enrichir les travaux de l’Institut sur l’entrepreneuriat populaire.
Quelles sont les projets ou initiatives de l’Institut qui vous enthousiasment particulièrement ?
Je suis particulièrement intéressée par tout ce qui touche aux recherches sur les freins à l’entrepreneuriat et aux stratégies pour les surmonter. Ces freins peuvent être structurels, économiques ou sociaux, et les travaux de l’Institut cherchent à identifier des solutions pour permettre à chacun de développer ses capacités d’action selon le concept d’Amartya Sen. Cet économiste indien propose d’évaluer le développement humain en fonction des libertés réelles dont disposent les individus pour mener la vie qu’ils valorisent. Ainsi le bien-être ne serait pas seulement fonction d’un niveau de ressources économiques. Cela résonne profondément avec mes propres recherches sur les stratégies économiques des classes populaires, passées et présentes.
Dans votre ouvrage L’économie morale, vous explorez les pratiques économiques solidaires et d’entraide. Quels exemples passés ou contemporains peuvent inspirer l’entrepreneuriat populaire aujourd’hui ?
L’ouvrage montre effectivement comment, par le passé, les populations marginalisées – migrants, femmes ou individus sans statut – ont souvent eu recours au marché et à l’entrepreneuriat comme stratégie de survie. Il montre aussi comment les élites de cette époque considéraient ces stratégies. Ces exemples restent pertinents aujourd’hui, car on observe un retour à des dynamiques similaires. Cependant, tout le monde n’a pas la capacité ou l’envie d’être entrepreneur. Il est donc essentiel de proposer des alternatives adaptées, comme des franchises solidaires ou des initiatives collaboratives.
L’économie morale implique souvent une dimension de justice sociale. Pensez-vous que l’entrepreneuriat peut jouer un rôle de réparation des inégalités dans le contexte actuel ?
L’entrepreneuriat populaire, qui est l’objet de la recherche de l’Institut Maria Nowak, peut ouvrir des voies importantes. Il respecte les individus, leur offre des opportunités et promeut la liberté d’agir selon leurs capacités. Cela étant, les inégalités sont souvent systémiques et ancrées dans des structures éducatives ou sociales. L’entrepreneuriat ne peut pas les abolir entièrement, mais il peut redonner espoir et dignité à ceux qui s’y lancent.
Quels indicateurs ou types de données manquent aujourd’hui pour mieux comprendre le contexte social des entrepreneurs et appuyer leurs besoins spécifiques ? Sur quoi la recherche de l’institut devrait-elle se concentrer pour être utile pour l’entrepreneuriat populaire ?
Il nous manque une compréhension fine des freins spécifiques que rencontrent les entrepreneurs dans leur parcours. Ces freins peuvent être financiers, administratifs ou liés à un manque de formation. Il serait utile de développer des études détaillées pour identifier ces obstacles et proposer des solutions concrètes, comme la formation continue ou un meilleur accompagnement administratif. Cela permettrait d’ouvrir davantage d’opportunités pour ceux qui souhaitent entreprendre.
Je pense que l’Institut devrait approfondir ses recherches sur les injustices structurelles et les maltraitances institutionnelles auxquelles font face les entrepreneurs populaires. De plus, il serait pertinent de mobiliser les données déjà collectées par des organisations du champ de l’entrepreneuriat populaire pour orienter des thèses et des projets de recherche. Cela pourrait aider à mieux comprendre les besoins et les défis spécifiques à ce public.
Selon vous, quelles sont les personnes référentes sur ces sujets ou qui ont joué un rôle clé dans l’action ou la contribution à ce domaine ?
Il existe un vivier d’experts dans les écoles de commerce, qui sont les plus susceptibles de s’intéresser à ces problématiques, ainsi que dans certaines chaires dédiées à l’entrepreneuriat social. Les personnes exactes à recommander dépendront des sujets de recherche choisis.