Françoise Lareur
Présidente de la Fondation d’entreprise du Groupe la Macif

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Quel est votre parcours académique puis professionnel ?
Je suis issue du monde agricole. J’ai commencé ma formation en Bretagne, où j’ai obtenu un diplôme de technicienne agricole. J’ai ensuite suivi des formations complémentaires, notamment en ingénierie de la formation et à l’Institut des hautes études de l’entreprise (IHEE), ce qui m’a permis d’élargir mes perspectives sur l’entreprise et son environnement.
Mon parcours professionnel débute en 1982 comme technicienne agricole en production laitière dans une association de producteurs laitiers du Morbihan (l’Association départementale de contrôle laitier. Mon rôle consistait à accompagner une quarantaine d’élevages, en conseillant les éleveurs sur la gestion des exploitations et en améliorant les performances laitières des vaches, notamment via une alimentation raisonnée et les choix génétiques. J’ai également pris part à des études et recherches, avec la transmission des données collectées aux organismes agricoles pour contribuer à la recherche génétique et à l’évaluation des pratiques.
Dans la même période, j’ai adhéré à la CFDT et été active dans le syndicalisme, d’abord localement, puis à un niveau régional et national, avec un focus sur les conditions de travail, les droits des salariés, l’évolution des emplois et la formation professionnelle. J’ai travaillé dans des secteurs variés, notamment l’agroalimentaire, et j’ai participé à des négociations collectives sur des enjeux majeurs, comme les salaires et les conventions collectives. En 2013, après plus de 20 ans d’engagement syndical, j’ai intégré la gouvernance de la Macif, une assurance mutualiste dotée d’une gouvernance tripartite, en tant qu’administratrice. Et depuis 2019, j’ai pris la responsabilité de la présidence de la Fondation Macif.
Quels défis particuliers observez-vous dans l’accès aux services financiers et d’assurance pour les entrepreneurs issus des quartiers prioritaires ou des zones rurales ?
Les entrepreneurs issus des quartiers populaires ou des zones rurales font face à plusieurs défis majeurs. Tout d’abord, ils subissent des discriminations structurelles, souvent liées à leur absence de réseau et à leur méconnaissance des « bons codes » nécessaires pour convaincre les financeurs. Ces entrepreneurs peinent à accéder aux bons interlocuteurs et manquent parfois de l’apport financier de départ, ce qui réduit leur crédibilité auprès des institutions.
Un autre défi réside dans la frilosité des financeurs, qui hésitent à prendre des risques avec ces porteurs de projets, contrairement à leur attitude plus favorable envers des entrepreneurs issus de milieux privilégiés ou diplômés des grandes écoles. Il est crucial de sensibiliser les acteurs du financement à ces inégalités pour qu’ils adoptent une approche plus inclusive.
Enfin, il est essentiel de valoriser les réussites issues de ces milieux, car elles demandent souvent un effort considérable. Montrer que ces entrepreneurs peuvent réussir et pérenniser leurs entreprises est un levier puissant pour inspirer et encourager d’autres initiatives.
À votre avis, en quoi la recherche peut-elle éclairer les enjeux spécifiques des entrepreneurs populaires en matière d’accès au financement et de résilience économique ?
Pour mieux comprendre et appuyer les besoins des entrepreneurs populaires, il faudrait renforcer la collaboration entre les acteurs qui les soutiennent, tels que l’ADIE, France Active, FAIR (le collectif de la finance solidaire), et les boutiques de gestion. Un partage plus structuré des données pourrait permettre d’identifier les lacunes et de développer des solutions adaptées.
Par ailleurs, il serait pertinent de travailler sur de nouveaux modèles d’entreprises durables et résilientes, en lien avec les enjeux de la transition écologique. Ces modèles pourraient offrir des opportunités spécifiques aux entrepreneurs des quartiers populaires et des zones rurales.
Quels leviers pensez-vous que les institutions de l’économie sociale et solidaire, comme la Fondation Macif, pourraient activer davantage pour encourager des initiatives entrepreneuriales inclusives et durables ?
La Fondation Macif travaille déjà sur plusieurs axes, comme le soutien aux coopérations territoriales. Cela permet d’identifier et d’accompagner plus efficacement les entrepreneurs locaux en collaborant avec d’autres acteurs sur des thématiques communes. Ces coopérations, inspirées par des dispositifs comme les Pôles Territoriaux de Coopération Économique (PTCE), facilitent l’émergence de projets inclusifs et durables.
Un autre levier serait de renforcer les incubateurs spécialisés dans les métiers d’avenir et les initiatives qui favorisent la mixité sociale, en mêlant des populations issues de quartiers populaires à d’autres publics. Enfin, des expérimentations sur le revenu de transition écologique pourraient inspirer des démarches innovantes, en valorisant les richesses locales tout en formant les individus et en sensibilisant aux enjeux écologiques.
Quelles sont les raisons / motivations qui vous ont poussé à rejoindre le comité scientifique de l’Institut Maria Nowak ?
Thierry Sibieude, que je connais depuis longtemps et avec qui j’ai collaboré sur divers projets, m’a encouragée à apporter mon expérience au comité. Ensuite, je partage profondément les valeurs et objectifs de l’Institut Maria Nowak, qui visent à permettre aux citoyens, en particulier les plus fragiles, d’avoir une chance de réaliser leurs projets, qu’il s’agisse de création d’emploi ou d’activités.
Mon engagement à la Fondation Macif, où je soutiens l’innovation sociale et l’entrepreneuriat populaire, converge avec la mission de l’Institut. Je suis convaincue que l’innovation sociale peut être tout aussi impactante que l’innovation technologique, en créant des solutions durables et justes pour tous.
Sur quoi la recherche de l’Institut devrait-elle se concentrer pour être utile pour l’entrepreneuriat populaire ?
La priorité, selon moi, devrait être l’accompagnement des entrepreneurs. Cela inclut non seulement l’accès aux réseaux et aux codes nécessaires pour réussir, mais aussi un soutien structuré qui respecte les choix des porteurs de projets tout en les guidant vers les bonnes ressources et opportunités.
Un autre axe de recherche pourrait être l’étude de modèles économiques durables, notamment dans le cadre de la transition écologique. Explorer comment ces modèles peuvent devenir des opportunités pour les populations les plus éloignées de l’emploi permettrait de concilier inclusion sociale et enjeux environnementaux.